Béatrice a ouvert la maternité aux femmes handicapées

Béatrice et sa stagiaire (au centre) écoutent le coeur du bébé d'Anne-Sophie

© Emilie Lay

Sage-femme, Béatrice Idiard-Chamois est paraplégique depuis quatorze ans. A l’origine de la toute première consultation « mère-enfant parentalité handicaps moteur et sensoriel » du pays, elle fait figure d’ovni dans le monde médical.

Un franc éclat de rire résonne dans un couloir terne d’hôpital, signalant la présence de Béatrice Idiard-Chamois. Cette fan d’Indochine carbure aux chewing-gums à la menthe, jongle en permanence avec plusieurs téléphones et fonce tous azimuts sur son fauteuil roulant.

Béatrice rit et râle beaucoup. Contre les médecins « qui sont nuls », leur ignorance du handicap, les discriminations. « Mais c’est bien plus pour emmerder les gens. Je préfère agir que râler. » Il y a sept ans, la sage-femme a donc créé à l’Institut mutualiste Montsouris (IMM), à Paris, la première consultation française d’obstétrique, dédiée aux femmes en situation de handicap moteur ou sensoriel.

Les préjugés qui entourent la parentalité des personnes handicapées, elle connaît. Elle a dû les affronter lorsqu’elle est elle-même devenue mère il y a vingt ans. « Vous risquez de transmettre votre maladie à votre enfant, avait-on tenté de la dissuader. Il coûtera cher à la sécurité sociale. » Car Béatrice est atteinte du syndrome de Marfan (1), une maladie génétique rare qui fragilise les artères.

Construire une telle consultation était un défi, dans un terrain totalement vierge. Ses patientes viennent aujourd’hui de toute la France. Beaucoup ne croyaient pas à cette réussite. Il lui a fallu faire ses preuves vis-à-vis du corps médical. En butte à l’hostilité, elle «  se dit : « Toi, mon con, tu vas voir ce dont je suis capable ! » » La sage-femme s’est donc formée pendant trois ans pour acquérir une compétence en neurologie, apprendre les techniques de guide des aveugles, et la langue des signes.

« Tout ce qui m’est interdit, je veux le faire ! »

Son moteur, c’est la provocation. Pour prouver que les Marfan ne sont pas impotents. Et braver ses médecins. « Tout ce qui m’est interdit, je veux le faire !, claironne-t-elle souvent. Pour les gens, je suis une extra-terrestre, car j’ai un pied dans la tombe depuis 1988. »

Si elle n’a pas toujours été paraplégique, Béatrice est née aveugle. La cécité rend alors son visage inexpressif et l’expose aux brimades de ses professeurs et camarades de classe. « Ma mère a refusé que j’aie la canne ou que j’aille en institut pour jeunes aveugles. Je ne pouvais pas m’identifier à une identité culturelle aveugle, raconte-t-elle, sans ricaner cette fois. Ce n’est pas drôle d’être écartée, moquée. Avec le handicap visuel, je n’avais pas de carapace. » Depuis, elle a développé un sens corrosif de la répartie.

Opérée à l’adolescence, sa vue demeure malgré tout très faible. Mais elle compense ce handicap en développant une mémoire exceptionnelle. « Quand j’ai commencé à jouer à Mario Kart, je ne pouvais pas anticiper les virages. Parfois, je roulais même à contre sens ! Maintenant j’y arrive car j’ai mémorisé les trajets. »

Une survivante obstinée

Béatrice est devenue sage-femme un peu par accident. « Avant, je voulais être météorologiste dans l’armée de mer !… Je ne sais pas pourquoi. Par provocation. A cause du prestige militaire. Et puis, j’aimais bien le costume, avoue-t-elle en se rengorgeant d’un air coquet. J’ai même été reçue au concours »… avant d’être recalée par les médecins. Elle troque finalement l’uniforme contre la blouse rose des sages-femmes.

Béatrice et Sophie, une de ses patientes sourdes (3)

© Emilie Lay

Mais ce métier est physiquement éprouvant. « Il faut porter les malades, faire les gardes, etc. » Pendant ses études, première alerte : Béatrice doit être opérée en urgence d’une déchirure de l’aorte. « Le monde s’est écroulé. Je pensais que ma dernière heure était venue. » Et puis, non. Elle s’obstine à survivre.

Cela fait maintenant vingt-trois ans qu’elle exerce son métier. Une « vieille sage-femme ». Elle a cependant cessé de pratiquer les accouchements. « Mais cela ne me manque pas. Les consultations sont plus enrichissantes. Et puis, je travaille solo moi ! » Béatrice est une indépendante, doublée d’une autodidacte. « Je le suis devenue car j’ai appris à ne compter que sur moi-même. »

En 1999, nouveau coup dur. Un infarctus de la moelle épinière lui fait perdre l’usage de ses jambes. « Cela m’est arrivé à l’IMM. Je me suis assise sur les toilettes et je ne me suis jamais relevée », raconte-t-elle en mâchant énergiquement son chewing-gum. C’est « un truc flippant que cette sensation d’enfoncement dans le sol, souffle-t-elle. On se sent lestée car on a l’impression que nos jambes pèsent 3 000 kgs. C’était panique à bord ! Il faut une forme de rééducation du cerveau pour s’adapter à ça. »

Pendant plus de quatre ans, elle se rend à l’IMM en train. « C’était ça ou j’aurais perdu mon boulot. Cela a été très dur d’apprendre le transfert, remonter le fauteuil sur le strapontin. » Sous le regard éberlué des autres voyageurs. « Certains ne bougeaient pas et d’autres se cachaient derrière leur journal. Les seuls à m’aider, c’étaient les jeunes qui fumaient leurs pétards le soir dans le train. »

Une profonde empathie avec les patientes

Pourtant, à la fois soignante et soignée, son handicap lui confère une empathie unique avec ses patientes. Béatrice donne aussi des conférences, écrit des articles, et enseigne à l’université sur la « sexualité et le handicap ». Mais la sage-femme conserve jalousement les secrets de son travail. « Je ne veux pas qu’on me le vole. Je suis la première sage-femme à avoir fait cette consultation en France et je le revendique ! », s’exclame-t-elle en avouant volontiers « un côté revanchard. »

En janvier 2014, elle ouvrira à l’IMM une consultation de gynécologie. « J’ai constaté qu’à peine 10% de mes patientes sont suivies par un gynécologue. Nous allons en profiter pour mener une recherche sur la vie affective et sexuelle des personnes handicapées. Il n’existe aucun chiffre là-dessus en France. » Cette consultation sera gratuite et cette fois, c’est juré, elle accueillera même les handicapées mentales.

Emilie Lay

Article publié sur HistoiresOrdinaires.fr – octobre 2013

Pour aller plus loin :

(1) Qu’est-ce que le syndrome de Marfan ?

Le « Pernoud » de la future mère en situation de handicap : Oser être mère : Maternité et handicap moteur, de Delphine Siegrist et « Mission handicaps » de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (Ap-Hp), Doin Editions, coll. Ap-Hp, 2003

Documentaire « Handicap et maternité », tourné principalement à la consultation de Béatrice Idiard-Chamois. Pour le recevoir, contacter : communication@gpm.fr

L’association Handiparentalité milite pour une reconnaissance officielle du statut de parent handicapé.

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